Dans le cadre des efforts qu’ils déploient pour prévenir et contrer la corruption, les États doivent s’intéresser et réfléchir au rôle central que joue le secteur privé pour assurer l’intégrité des entreprises. Si certaines entreprises se livrent à la corruption, soit délibérément pour obtenir un avantage soit parce qu’elles estiment ne pas avoir le choix, le secteur privé a aussi été un moteur de changement positif, promouvant les réformes relatives à l’intégrité des entreprises qui ont fait évoluer le paysage de la lutte contre la corruption au niveau mondial. Si les efforts de lutte contre la corruption ont auparavant relevé des États et des gouvernements, le secteur privé en est de plus en plus devenu un acteur essentiel, ce qui représente un changement de paradigme significatif depuis les premiers temps de l’élaboration des politiques anticorruption. Le principe 10 du Pacte mondial des Nations Unies4, qui engage les participants à élaborer de manière proactive des politiques et des programmes concrets pour lutter contre la corruption en interne et au sein de leurs chaînes d’approvisionnement, met en évidence l’importance de la coopération avec le secteur privé dans la lutte contre la corruption.
De leur côté, les États sont tenus de satisfaire à certaines normes minimales lors de la mise en œuvre de leurs engagements relevant de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) et de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (la Convention anticorruption de l’OCDE), ainsi que de sa Recommandation connexe de 2021 relative à l’infraction de corruption. Ces instruments prévoient que les sanctions applicables en cas d’infractions commises par des individus, également appelés « personnes physiques », et par des entreprises ou autres entités, appelées « personnes morales » doivent être « efficaces, proportionnées et dissuasives ». Les États disposent d'un large pouvoir d'appréciation pour déterminer le juste équilibre entre sanctions et incitations, sans oublier les mesures accessoires visant à renforcer l’intégrité des entreprises.
Le Guide reconnaît qu’une unique manière de procéder n’est pas appropriée et que le juste équilibre entre les sanctions et les mesures visant à inciter les entreprises à adopter de bonnes pratiques varie en fonction de diverses considérations, telles que la structure juridique en place des différents États, leur profil économique, et leurs capacités en termes d’institutions et de ressources. Une certaine flexibilité est également nécessaire pour s’adapter aux besoins particuliers et à la situation propre des entreprises en fonction de leur taille et de leurs activités passées. D’autres mesures prises en collaboration avec le secteur privé, ou pilotées par celui-ci, en vue de renforcer l’intégrité au niveau des projets ou au niveau sectoriel peuvent aussi concrètement compléter, voire remplacer, l’action répressive.
Les mesures d’incitation en faveur des entreprises qui sont susceptibles de conduire leurs dirigeants ou leurs salariés à maximiser les bénéfices à n’importe quel prix peuvent créer une culture propice aux pratiques de corruption. Par ailleurs, les entreprises peuvent aussi être victimes d’extorsion de la part d’agents publics. Les petites entreprises locales sont tout particulièrement vulnérables aux demandes d’extorsion de la part d’agents publics corrompus, mais aussi en tant que maillon d'une chaîne d'approvisionnement plus vaste. Les grandes entreprises nationales ou internationales, même si elles réussissent à maîtriser la corruption dans leurs propres rangs, doivent toutefois s’inquiéter des pratiques de concurrence déloyale auxquelles peuvent se livrer des entreprises comparables moins scrupuleuses.
Il se dit souvent qu’il vaut mieux prévenir que guérir. S’agissant des entreprises, la prévention prend de nombreuses formes allant du fait de donner l’exemple en adressant des messages en faveur de l’intégrité et de la lutte contre la corruption à la mise en place de programmes internes efficaces de prévention et de détection des manquements à la loi et aux standards d’intégrité. Ces programmes anticorruption font l’objet de guides développés par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), du Pacte mondial des Nations Unies et l’OCDE5. Ils sont généralement fondés sur une évaluation des risques de corruption et impliquent un engagement des dirigeants en faveur de pratiques commerciales éthiques, une formation à la sensibilisation, des mesures et procédures de lutte contre la corruption, des canaux au moyen desquels les personnes concernées peuvent demander des conseils ou faire part de leurs préoccupations, et des systèmes et programmes de contrôle internes visant à assurer le respect de ces mesures.
La mise en œuvre de programmes anticorruption concrets et efficaces au sein des entreprises relève principalement de la compétence et de la responsabilité du secteur privé. Cependant, les autorités publiques prennent de plus en plus part à la production de lignes directrices et à l’évaluation du caractère adéquat de ces programmes. Les mesures anticorruption représentent un investissement et, comme tous les autres investissements des entreprises, sont mises en concurrence, en fonction des risques et avantages perçus, avec d’autres sollicitations pour les mêmes ressources limitées. Il est toutefois apparu que les mesures préventives mises en œuvre par le secteur privé doivent aller de pair avec les efforts répressifs déployés par les États6. Les pouvoirs publics devraient aider les entreprises à former leurs décisions d’investissement en tenant compte de l’arsenal de sanctions applicables d’une part et d’incitations à se conformer à de bonnes pratiques d’autre part7. Ils devraient également diffuser des orientations sur ce qu’est censé être un programme anticorruption adéquat et exemplaire, notamment lorsqu’ils procèdent à l’évaluation de ce type de programme.