Eu égard à l’intégrité des entreprises, les principales fonctions de l’État sont d’instaurer un cadre juridique permettant de prévenir et de combattre la corruption, de fournir des orientations sur l’application des instruments législatifs et sur l’évaluation de l’observance de ces derniers et de faire appliquer la loi. Il incombe aux pouvoirs publics d’instaurer des conditions d’activité des entreprises équitables et concurrentielles. Il se peut que les entreprises qui se sentent lésées par rapport à leurs homologues d’autres pays ou territoires ne soient guère disposées à mettre en place des normes d’intégrité si elles constatent que d’autres ne sont pas tenues pour responsables de leurs comportements contraires à l’éthique. À l’inverse, l’intégrité des entreprises est encouragée dès lors que les États imposent aux entreprises de respecter des normes d’intégrité si elles veulent exercer leur activité sur leurs territoires.
Les États doivent aussi montrer l’exemple. En mettant en œuvre une culture de l’intégrité, ils envoient au secteur privé et aux autres parties prenantes le message qu’il est essentiel de promouvoir un comportement éthique. De plus, les pouvoirs publics sont chargés de veiller également à ce que les services de l’État disposent de politiques et de procédures en place portant sur la prévention de la corruption dans le secteur privé et à ce que leurs agents bénéficient des formations nécessaires.
Il appartient aux pouvoirs publics d’instaurer un cadre juridique national de prévention de la corruption, conforme aux normes internationales applicables telles que la CNUCC et la Convention anticorruption de l’OCDE. Sans être préscrit par ces Conventions, une approche globale clarifiant la relation entre les comportements prohibés, les conséquences et les protections est des plus utiles pour le secteur privé. Il est également important que les mesures juridiques soient suffisamment précises pour que le secteur privé comprenne le champ d’application des textes législatifs et les exigences qu’ils prévoient, notamment en ce qui concerne la responsabilité des sociétés en cas d’infraction de corruption et la transparence de la propriété effective.
Lorsque les pouvoirs publics assurent la concordance des dispositions nationales avec les normes internationales applicables comme la CNUCC et la Convention anticorruption de l’OCDE, les différents cadres juridiques sont plus solides et plus cohérents et donc plus faciles à décrypter pour le secteur privé. Les pouvoirs publics peuvent également prendre les devants et se concerter, lorsque cela est possible, avec d’autres juridictions de façon à ce que des entreprises présentes dans différents marchés ne soient pas soumises à des obligations divergentes en matière de programme de mise en conformité. Dans une étude publiée en 2023, l’Agence française anticorruption a comparé les cadres juridiques et les pratiques anticorruption définis par la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Banque mondiale et établi une synthèse des exigences qui s’appliquent aux entreprises dans les juridictions citées19. L’objectif était de « s’assurer que le cadre français permette aux entreprises qui le respectent, de déployer un dispositif de prévention efficace et utile dans leur stratégie de croissance et de développement à l’étranger et de limiter ainsi les risques d’exposition à la corruption en répondant aux plus hauts niveaux de normes et standards internationaux ».
L’adoption d’un régime de responsabilité des personnes morales en cas de corruption est un élément essentiel de la panoplie des pouvoirs publics pour prévenir et combattre la corruption. L’article 26 de la CNUCC et l’article 2 de la Convention anticorruption de l’OCDE exigent des Parties qu’elles établissent la responsabilité des personnes morales qui participent aux infractions de corruption20. La Recommandation anticorruption de l’OCDE de 2021 préconise, plus précisément, que les pays membres adoptent soit une approche « flexible » de la responsabilité de la personne morale pour corruption d’agents publics étrangers au titre d’actes commis par n’importe quel membre de la personne morale, soit, lorsqu’elles limitent la responsabilité des entreprises aux actes et aux omissions commis par certains membres de l’équipe dirigeante, une approche « fonctionnellement équivalente » à la précédente, qui engage la responsabilité de la personne morale lorsque :
Étendre la responsabilité des personnes morales à des actes de corruption commis par leurs salariés ou leurs agents ou par toute société apparentée ou filiale vise à dissuader ce type de comportement en imposant des peines et des sanctions à l’entreprise elle-même. De fait, il s’agit déjà d’une norme à laquelle les Parties à la Convention anticorruption de l’OCDE doivent se conformer. En effet, la Recommandation anticorruption de l’OCDE de 2021 indique que les pays membres devraient s’assurer qu’une personne morale ne peut se soustraire à sa responsabilité en ayant recours à un intermédiaire, y compris une personne morale liée ou toute autre personne tierce, quelle que soit sa nationalité, pour offrir, promettre ou octroyer en son nom un pot-de-vin à un agent public étranger. De plus, ils devraient se doter de règles ou adopter d’autres mesures appropriées afin de s’assurer que les personnes morales ne puissent pas se soustraire à leur responsabilité ou à des sanctions afférentes en procédant à une restructuration, en fusionnant, en étant acquises ou en modifiant autrement leur identité sociale.
Par conséquent, les États qui ne l’ont pas encore fait pourraient promulguer une loi ou modifier leur législation existante pour engager la responsabilité d’une personne morale au titre des actes de ses salariés, agents ou représentants agissant au nom, dans l’intérêt ou au bénéfice de cette personne morale.
Un régime solide de responsabilité des personnes morales envoie un message dissuasif fort aux entreprises, et les découragent de se livrer à des actes de corruption étant donné que la société mère pourrait être tenue pour responsable des actions de n’importe quel sous-traitant, salarié ou agent. Un tel régime promeut également la mise en œuvre d’un programme anticorruption fondé sur les risques couvrant les personnes morales liées et les parties tierces opérant dans différents pays et sur différentsmarchés. L’applicabilité de cet outil varie d’un État à l’autre, car elle dépend des particularités des systè mes juridiques et des pratiques de chacun.
La transparence concernant les bénéficiaires effectifs peut constituer une partie intégrante d’un cadre juridique de lutte contre la corruption. Au cours des dernières années, plus de 100 États se sont engagés21 à mettre en œuvre des mesures de transparence de la propriété effective comme un moyen de combattre l’utilisation de structures sociétaires pour se livrer à des actes de blanchiment de capitaux et de corruption. Le terme de bénéficiaire effectif est généralement défini comme la ou les personnes physiques au bout de la chaîne de propriété22. Ainsi, le bénéficiaire effectif est la personne qui, en dernier ressort, est en droit d’obtenir une part des revenus ou des actifs de l’entité juridique ou est en capacité d’en contrôler les activités. La transparence de la propriété effective rend publiques les modalités de propriété et de contrôle des entreprises et d’autres entités et structures juridiques, comme les fiducies, par leurs bénéficiaires effectifs23.
La propriété effective est une notion distincte de la propriété légale. Les personnes morales, dont les entreprises, peuvent détenir d’autres personnes morales, y compris d’autres entreprises. Jusqu’à présent, la transparence en matière de propriété de l’entreprise a surtout porté sur la propriété légale, c’est-à-dire le niveau de propriété juste au-dessus de l’entreprise.
La transparence de la propriété effective vise à faire évoluer le paysage réglementaire de la constitution de sociétés et à empêcher qu’une juridiction ne soit utilisée comme une juridiction occulte (secrecy jurisdiction) par des structures sociétaires pour cacher des biens mal acquis et des produits de la corruption. Les informations sur les bénéficiaires effectifs peuvent servir à différentes fins. Ainsi, une entreprise peut plus facilement effectuer des vérifications préalables de ses partenaires commerciaux dans le cadre de son devoir de diligence ou d’une opération de fusion-acquisition, lorsque ces informations sont publiques.
Les pouvoirs publics devraient envisager de fournir au secteur privé des conseils sur ses responsabilités en matière de lutte contre la corruption en vertu de la loi. Si de nombreux aspects du cadre anticorruption d’un pays semblent évidents, car clairement énoncés dans des textes législatifs, d’autres peuvent être moins faciles à cerner ou difficiles à appliquer dans la pratique. Par exemple, il est possible qu’une entreprise sache qu’il est interdit de recourir à la corruption pour obtenir de nouveaux contrats, sans savoir pour autant que le versement d’une somme d’argent en contrepartie de la délivrance d’une autorisation ou d’avantages réglementaires est également prohibé, en particulier lorsque cette somme d’argent s’apparente à de simples frais administratifs. De même, il n’est pas toujours clair de savoir dans quels cas une entreprise est tenue pour responsable des infractions commises par une société apparentée, une partie tierce ou un partenaire commercial. En outre, des orientations peuvent amener des entreprises à déclarer spontanément des infractions lorsqu’elles comprennent l’intérêt de coopérer.
Des orientations sur ce type de problèmes fréquents sensibilisent le secteur privé à la lutte contre la corruption et par là améliorent l’intégrité des entreprises. Elles jouent également un rôle important dans l’application du droit en cas d’infractions. Enfin, elles peuvent aussi être utilisées pour attirer l’attention des entreprises sur les exigences minimales de l’État en matière de conception et de mise en œuvre d’un programme anticorruption ou sur les pratiques préconisées.
Les pouvoirs publics se doivent également de faire respecter les lois relatives à l’intégrité des entreprises et d’appliquer des sanctions « efficaces, proportionnées et dissuasives » conformément aux dispositions des instruments internationaux comme la CNUCC et la Convention anticorruption de l’OCDE. Cette mise en œuvre devrait, en outre, être assurée de façon préventive et indépendante. Comme dans d’autres domaines du droit, la législation et les mesures réglementaires en matière de lutte contre la corruption sont plus efficaces lorsqu’elles sont soutenues par des moyens d’application opérants. À l’inverse, l’absence de mise en application significative de la loi peut miner la confiance des citoyens dans la loi, encourager les entreprises sans scrupules à commettre des infractions et compromettre la capacité des entreprises dotées d’un sens de l’éthique à agir dans le respect de l’intégrité en raison de la pression économique exercée par des concurrents plus complaisants. Les entreprises qui n’encourent pas de sanctions pour leurs actes de corruption peuvent être indirectement incitées à abandonner des pratiques respectueuses de l’éthique pour des procédés malhonnêtes.
Si aucun État ne dispose des ressources et des capacités pour policer l’ensemble des activités des entreprises en cas d’infractions éventuelles, il est essentiel que les États envoient ne serait-ce qu’un « message clair » sur la corruption pour renforcer l’intégrité des entreprises. Les principaux destinataires de ce message sont les membres de la direction de l’entreprise, en particulier le conseil d’administration et les cadres supérieurs. Ces personnes ont généralement la responsabilité fiduciaire de superviser la gestion de l’entreprise dans l’intérêt de celle-ci et de ses propriétaires, y compris les efforts déployés par l’entreprise pour prévenir et détecter les actes de corruption24.
Compte tenu de la dimension internationale du monde des affaires, l’application des lois contre la corruption doit faire l’objet d’une coopération internationale pour être efficace. Comme prévu à la section XIX de la Recommandation anticorruption de l’OCDE de 2021, les États devraient se concerter et coopérer avec les autorités compétentes des autres pays, et, s’il y a lieu, avec les réseaux internationaux et régionaux d’autorités répressives, dans les enquêtes et autres procédures judiciaires. Outre les avantages générés par une application efficace du droit, la coopération internationale permet d’assurer une cohérence entre les différentes juridictions et offre une plus grande sécurité juridique au secteur privé.
Les pouvoirs publics devraient également prendre des mesures pour renforcer l’engagement et les pratiques de leurs services en faveur de la lutte contre la corruption. Le chapitre II de la CNUCC prévoit des recommandations précises sur l’amélioration de la transparence et de la responsabilité dans la fonction publique, la passation des marchés publics et la gestion des finances publiques et sur les moyens d’assurer l’intégrité des juges et des services de poursuites.
D’autres mesures devraient aussi être envisagées pour sensibiliser les services de l’État à l’importance de la prévention et de la lutte contre la corruption impliquant le secteur privé. La Recommandation anticorruption de l’OCDE de 2021 recommande aux pays de sensibiliser et de former les agents publics à la prévention et à la détection des affaires de corruption d’agents publics et d’agents publics étrangers, en particulier ceux qui sont en contact avec les entreprises exerçant des activités à l’étranger, ou qui sont amenés à avoir connaissance d’informations les concernant.