Pour renforcer l’intégrité des entreprises, les États doivent trouver la bonne formule entre sanctions et incitations, démontrant leur engagement à combattre la corruption tout en reconnaissant l’importance des contributions et efforts déployés par le secteur privé. Souvent, une sanction est corrélée à une incitation dont l’objectif est de modifier un comportement de manière préventive, comme le montre le tableau suivant :
Les États disposent d’un large éventail de mesures leur permettant de sanctionner les pratiques de corruption dans le secteur privé. Ces sanctions peuvent servir à des fins réparatrices, compensatoires ou punitives. Selon les exigences de la CNUCC et de la Convention anticorruption de l’OCDE, les sanctions doivent être « efficaces, proportionnées et dissuasives ». Cette condition est généralement remplie au moyen d’une combinaison de sanctions et de mesures complémentaires qui peuvent englober des sanctions pécuniaires, la confiscation des pots-de-vin et des produits de la corruption, et des mesures correctives visant à indemniser les victimes de la corruption. Considérées dans leur ensemble, ces sanctions et mesures devraient être d’une ampleur suffisante pour dissuader de futurs comportements répréhensibles. Certains paramètres, tels que la taille de l’organisation et la gravité des agissements répréhensibles, sont déterminants lorsqu’il s’agit d’évaluer l’ampleur appropriée d’une sanction. Les mesures visant à dissuader les petites entreprises de commettre des infractions à l’avenir ne sont pas toujours adaptées aux entreprises de plus grande taille. À l’inverse, les pénalités importantes appliquées à une grande entreprise nationale ou multinationale pourraient être disproportionnées pour une entité de taille plus modeste.
Les mesures prescrites ou recommandées par la CNUCC et les normes anticorruption de l’OCDE visant à encourager la coopération et le signalement parmi les acteurs du secteur privé jouent un rôle essentiel, mais elles doivent être étayées par des moyens d’enquête adéquats45. Les enquêtes et les poursuites en matière de corruption peuvent présenter des difficultés particulières en raison de la complexité et du caractère dissimulé des violations. L’une des stratégies pour mobiliser des ressources consiste à concentrer les ressources répressives sur un secteur ou un type de corruption spécifique, de sorte que les informations et l’expérience accumulées au cours d’une première enquête puissent être utilisées dans le cadre d’actions similaires impliquant d’autres entreprises du même secteur. Ce type d’initiative ciblée est tout particulièrement adapté pour les États qui disposent de services d’enquêtes et de poursuites bien développés, et dont l’économie est dominée par des secteurs spécifiques, ou se caractérise par une concentration économique dans des secteurs à haut risque.
Dans l’optique de mobiliser des ressources limitées en matière de répression, une autre démarche consiste à encourager le règlement des actions concernant les personnes morales par le biais d’accords hors procès, évitant ainsi de mobiliser le temps et les ressources nécessaires pour mener à bien une action en justice46. La majorité des actions répressives à l’encontre des personnes morales ont pour objectif de pénaliser les personnes physiques responsables, d’éliminer tout avantage commercial qui en résulte et d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir. Lorsque cela est possible, un règlement à l’amiable peut être avantageux pour les deux parties dans le but d’éviter des procédures coûteuses. Selon la Recommandation anticorruption de l’OCDE de 2021, les règlements à l’amiable doivent respecter les principes de procédure équitable, de transparence et de responsabilité. Plus précisément, ces règlements devraient être conclus par un accord selon un cadre et des critères clairs et transparents, soumis à un contrôle judiciaire, et suffisamment transparents pour obtenir la confiance du grand public dans le processus tout en respectant les règles en matière de protection des données et de protection de la vie privée, le cas échéant47.
On observe une nette tendance à la conclusion de règlements transactionnels dans le cadre de la lutte contre la corruption. Sur les 1 468 affaires de corruption transnationale recensées entre 1999 et mai 2021, 1 242 (84.6 %) ont été résolues par voie de règlement48. Au-delà des sanctions pécuniaires, les accords hors procès49 prévoient diverses formes de sanctions. Ils imposent souvent aux entreprises des conditions opérant comme une sorte de mécanisme de libération conditionnelle pour personnes morales. Il peut s’agir d’exigences renforcées en matière d’audit, du contrôle de la conformité par un tiers, du remaniement de l’équipe dirigeante, du renouvellement obligatoire des membres du conseil d’administration, y compris par la nomination de nouveaux administrateurs indépendants, et même d’une restructuration interne. Une entreprise doit démontrer qu’elle respecte ces conditions pour que la menace de poursuites soit écartée. La conclusion d’accords hors procès avec des entreprises peut également permettre de libérer des ressources parmi les procureurs, de sorte que ces dernières puissent être consacrées aux poursuites à l’encontre des personnes physiques responsables de l’infraction.
Si les États peuvent recourir à des règlements transactionnels afin d’imposer des sanctions, ils peuvent également affecter une partie de l’amende pécuniaire imposée, ou d’autres actifs obtenus par le biais de ces règlements, au financement de leurs efforts de lutte contre la corruption, ce qui peut alléger la charge que représente le fait de mobiliser des ressources limitées.
Une troisième stratégie visant à mobiliser des ressources limitées aux fins des enquêtes a consisté, pour certaines autorités chargées de la répression, à s’appuyer sur les efforts de répression déployés par leurs homologues dans d’autres États pour encourager les mesures d’enquête. Le cas échéant, les autorités peuvent faire valoir les articles de la CNUCC et de la Convention anticorruption de l’OCDE qui exigent une entraide judiciaire, l’échange d’informations relatives aux infractions de corruption et d’autres formes de coopération internationale, ce qui peut grandement alléger la charge que représente la collecte d’informations pour chaque État50. En outre, les États peuvent saisir l’occasion de créer des équipes communes ou parallèles d’enquêtes51.
Les poursuites à l’encontre des personnes physiques peuvent constituer un outil puissant aux fins de renforcer l’intégrité des entreprises, en particulier lorsque ces actions peuvent aboutir à des peines d’emprisonnement. L’emprisonnement est une sanction courante en cas de violation des lois de lutte contre la corruption, et une priorité explicite en matière d’application des lois dans de nombreux États. Des enquêtes menées auprès d’entreprises ont révélé que cette forme de sanction était l’un des moyens dont l’effet dissuasif est le plus efficace au regard de la corruption impliquant des entreprises, notamment lorsque la responsabilité s’étend aux fonctions de surveillance et de direction52.
À l’image d’autres contextes pénaux, les poursuites à l’encontre de personnes physiques pour des actes de corruption sont subordonnées à l’existence de normes de conduite légales claires, d’un système judiciaire équitable et impartial et de garanties de procédure régulière afin d’empêcher les abus. En général, lors des procès, les procureurs doivent apporter des preuves au-delà de tout doute raisonnable. Bien que des règlements négociés puissent être conclus dans des systèmes juridiques qui autorisent les accords hors procès, il est peut-être moins probable pour les personnes physiques que pour les entreprises de parvenir à un règlement transactionnel pour une mesure de répression, en particulier si elle prévoit une incarcération.
Les sanctions pécuniaires sont courantes en cas de violation des lois de lutte contre la corruption par des acteurs du secteur privé. Elles sont applicables tant aux personnes physiques que morales dans la majorité des États. Les amendes ont vocation à sanctionner les agissements répréhensibles et dissuader l’auteur de l’infraction et d’autres personnes de commettre de nouvelles infractions.
Les sanctions pécuniaires appliquées en cas d’infraction de corruption peuvent être de nature pénale, civile ou administrative. De façon tout à fait pragmatique, c’est le montant plutôt que la nature de la sanction qui détermine son efficacité. Ce sont les amendes infligées après une condamnation pénale qui envoient le message le plus dissuasif, en raison de la stigmatisation liée à la condamnation. Toutefois, selon les procédures pénales, les organes répressifs peuvent être tenus d’assumer une charge de la preuve plus lourde, qui complique les procédures et allonge leur mise en œuvre. Même si les amendes civiles sont
moins stigmatisantes, elles peuvent néanmoins constituer un levier répressif efficace et éviter certaines difficultés relatives à la recherche de preuves ou certaines difficultés d’ordre juridique associées aux poursuites pénales. Dans certains États, ces amendes civiles résultent de fautes en matière de communication financière ou d’autres infractions à caractère technique. Par exemple, une entreprise publique peut se voir infliger une amende pénale ou civile pour avoir omis de divulguer en bonne et due forme les paiements de facilitation (pots-de-vin) dans ses rapports financiers publics ou pour avoir indûment déduit un pot-de-vin ayant fait l’objet d’une fausse déclaration en tant que charge d’entreprise. Les amendes administratives constituent une autre option non pénale, généralement gérée par l’intermédiaire d’une agence plutôt que dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Une sanction pécuniaire peut être infligée à des personnes morales en cas de violation des lois d’un État relatives à la lutte contre la corruption, y compris, le cas échéant, en cas de manquement d’une entreprise à ses obligations en matière de prévention des comportements répréhensibles de ses employés ou agents. Certains États rendent une entreprise responsable de violations en vertu des principes de droit commun (comon law principles), et d’autres en vertu de la loi. L’approche législative offre entre autres avantages le fait que les entreprises sont alors informées à l’avance de leurs responsabilités en matière de prévention des actes de corruption commis par leurs employés. Il incombe donc aux entreprises de prévenir les risques de corruption en renforçant leurs programmes anticorruption. Une infraction prévue par la loi pour défaut de prévention de la corruption établit le fondement juridique d’une mesure répressive en cas de violation.
Les amendes devraient refléter la gravité d’une infraction, en tenant compte de la taille de l’entreprise, de sa culpabilité et d’autres facteurs tels que le préjudice causé par le comportement fautif, le montant du pot-de-vin versé, et les bénéfices et autres avantages tirés de la transaction entachée de corruption53. En général, la législation fixe le montant maximal de l’amende ou le montant de la sanction de base, et le montant réel est déterminé en tenant compte des circonstances aggravantes ou atténuantes. Par exemple, dans le modèle de détermination des sanctions utilisé aux États-Unis, les autorités chargées de la répression définissent une « amende de base », puis appliquent un « multiplicateur » de culpabilité afin de déterminer le montant maximal54. L’Agence française anticorruption fournit des lignes directrices pour la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public (mécanisme d’accord hors procès introduit par la Loi SAPIN II), précisant les facteurs pris en compte pour déterminer le montant de l’amende d’intérêt public55. Les facteurs de culpabilité qui peuvent influer sur le montant d’une amende pénale englobent : l’implication d’un ou de plusieurs cadres supérieurs de l’entreprise dans l’acte répréhensible ou leur tolérance à l’égard de cet acte ; les antécédents judiciaires éventuels ; l’existence ou non d’un programme anticorruption efficace ; la divulgation spontanée ; la coopération ; et l’acceptation de la responsabilité. En outre, aux États-Unis, une autre disposition distincte permet aux tribunaux d’imposer une amende dont le montant pourrait atteindre le double du gain pécuniaire obtenu par le défendeur ou le double du préjudice pécuniaire subi par toute autre personne.
Quand bien même une entreprise ne peut pas être condamnée à une peine de prison, elle peut néanmoins être tenue de mettre en œuvre diverses mesures de réforme comme condition en vue de parvenir à un règlement à l’amiable. Les exemples d’entreprises multinationales ayant renforcé leurs programmes anticorruption en réponse à une action répressive formelle sont nombreux, et il s’agit d’ailleurs d’une exigence de base dans certains pays pour obtenir un règlement. Dans certains États, l’instauration d’un dispositif de surveillance indépendant est courante, des contrôleurs d’entreprise indépendants étant alors nommés conformément aux lignes directrices à l’intention des procureurs56. L’entreprise peut ainsi faire l’objet d’une surveillance pendant une période déterminée, de façon à garantir qu’elle respecte les engagements qu’elle a pris en vertu de l’action répressive. En outre, dans le cadre d’un règlement à l’amiable, l’entreprise peut être tenue de renouveler ses administrateurs ou ses cadres supérieurs, de licencier les salariés coupables et de se conformer à diverses obligations en matière de vérification des comptes et autres exigences comptables. Les mesures de réforme préservent la responsabilité pour les actions passées, tout en aidant les entreprises à apporter les modifications nécessaires de façon à garantir la mise en place de mesures de prévention adéquates afin d’éviter les comportements répréhensibles à l’avenir.
La confiscation des produits de la corruption est une autre mesure importante visant à dissuader les actes répréhensibles en la matière. Dans une affaire de corruption de grande envergure impliquant une entreprise, les montants concernés peuvent être de loin supérieurs à ceux des amendes imposées.
La Recommandation anticorruption de l’OCDE de 2021 reconnaît explicitement le rôle fort que la confiscation peut jouer dans le régime de sanctions des États57. Elle appelle ces derniers à s’appuyer sur leur législation nationale, pour l’identification, le gel, la saisie et la confiscation de l’instrument et des produits de la corruption d’agents publics étrangers, ou des avoirs d’une valeur équivalente à celles de ces produits. Elle souligne également que les États devraient adopter une approche proactive, mener des activités de sensibilisation auprès des autorités répressives et autres autorités compétentes, et envisager de développer et de diffuser des lignes directrices pour en faciliter la mise en œuvre.
Les autorités compétentes ont recours à la confiscation des produits ou d’avoirs afin de priver les auteurs d’actes illicites de leurs gains mal acquis et de dissuader la violation des lois relatives à la lutte contre la corruption. Cette pratique est courante, notamment dans le cas des infractions au droit de la concurrence et dans la lutte contre la criminalité organisée. Les finalités de la confiscation sont plurielles et englobent la dissuasion des auteurs potentiels d’actes de corruption, la réparation en cas d’enrichissement découlant de l’acte de corruption et l’indemnisation au titre des dommages causés aux victimes. Cette pratique peut également empêcher la « pénétration des produits illicites de la corruption dans l’économie légitime » et supprimer les « instruments utilisés pour éviter les récidives, par exemple dans le cas du blanchiment de capitaux »58.
En général, les mesures de confiscation se limitent au recouvrement du montant qui, de façon avérée, a été obtenu ou acquis au moyen d’un comportement illicite. Il peut s’agir des profits tirés après la signature d’un contrat facilitée par la corruption, des économies réalisées grâce à l’« accélération » des exigences réglementaires, ou d’un avantage concurrentiel obtenu au moyen d’actes de corruption stratégiques. Ces
mesures peuvent également s’étendre à la confiscation des biens matériels acquis avec les produits
illicites, biens dont la valeur peut être supérieure aux dits produits.
Parfois, les produits confisqués peuvent être restitués aux victimes ou utilisés pour compenser les dommages causés par les pratiques de corruption. C’est notamment le cas lorsque l’infraction de corruption a entraîné des pertes financières pour des personnes physiques, des organisations ou l’État. Les avantages économiques confisqués peuvent être restitués à leurs propriétaires légitimes, utilisés pour indemniser les parties lésées conformément à l’article 57(3)(c) de la CNUCC, ou mis à la disposition de l’État. Ils peuvent également servir au financement des subventions qui ont pour finalité de réduire les effets corrosifs de la corruption. À titre d’exemple, la Banque mondiale a conclu en 2009 un règlement qui a contribué au financement de l’initiative Siemens Integrity, sous la forme de l’affectation d’un financement substantiel à des initiatives de lutte contre la corruption pendant plus d’une décennie59.
Le fait de priver les auteurs d’une infraction de l’avantage économique procuré par leur acte de corruption sert à la fois les intérêts de l’État – éliminer les incitations à la corruption pour les entreprises, – et ceux des concurrents – créer des règles du jeu économiques plus équitables. Les sanctions qui se limitent à infliger une amende à une entreprise pour comportement inadéquat, tout en laissant en place les avantages économiques obtenus, sont moins susceptibles de dissuader de futures violations, en particulier dans des contextes où le risque de détection, d’enquête et de poursuites est déjà faible. D’ailleurs, une analyse a révélé que, dans la majorité des pays, les amendes prévues par la loi, non assorties de mesures de confiscation, ne suffiraient probablement pas à elles seules à sanctionner la corruption sur le plan purement économique60.
Le calcul des gains mal acquis de la corruption peut se révéler complexe, puisqu’il est généralement difficile de déterminer l’ampleur et la nature réelles des transactions illicites. Diverses méthodes et approches sont utilisées pour estimer les produits de la corruption, notamment la comptabilité judiciaire, l’analyse du mode de vie et le traçage des avoirs. Une analyse conjointe OCDE-StAR (Stolen Asset Recovery Initiative)61 ainsi que le Manuel de recouvrement publié par la StAR à l’intention des praticiens62 présentent ces méthodes et d’autres de calcul des gains mal acquis.
Certains États et d’autres organisations ont eu recours à des sanctions pécuniaires, ou des peines d’autre nature (restitution ou confiscation, par exemple), dans le but de réparer le préjudice subi par les victimes d’actes de corruption. Cette méthode pourrait consister, entre autres, à demander à une entreprise de créer un fonds afin de contribuer au financement des activités de lutte contre la corruption. Par ailleurs, il pourrait être exigé de l’entreprise qu’elle participe au financement d’organisations non gouvernementales ou d’œuvres de bienfaisance. L’indemnisation des victimes peut être décidée dans le cadre d’un procès ou d’un accord hors procès.
La CNUCC dispose que les États doivent mettre en place des mesures correctives visant à permettre aux victimes de la corruption d’obtenir réparation63.
Les recours contractuels constituent un autre moyen de lutter contre la corruption dans le secteur privé. Le non-respect des normes juridiques peut être un motif de résiliation d’un contrat, ou servir de base à une restitution contractuelle. Dans de nombreux pays, les marchés obtenus par corruption sont alors viciés, ce qui les rend nuls ou annulables aux dépens de la partie corrompue, en vertu du droit civil et commercial64. Il s'agit de recours communs disponibles dans la plupart des États en cas de manquements contractuels courants, et qui peuvent être explicitement étendus aux délits de corruption.
Les États peuvent eux-mêmes être victimes de corruption. L’article 34 de la CNUCC et la section IV(ix) de la Recommandation anticorruption de l’OCDE de 2021 les encouragent à envisager l’annulation ou la résiliation de contrats ou de concessions entachés de corruption. D’autres mesures correctives sont envisageables lorsque les circonstances ne justifient pas nécessairement de mettre fin à un contrat ou une concession ; il peut s’agir d’imposer le versement de dommages-intérêts contractuels ou des sanctions pécuniaires contractuelles (pour une peine moins élevée). Cette forme de sanction, qui revêt un caractère correctif, vise à préserver les ressources publiques et l’intégrité de la procédure de passation des marchés. Si une entreprise se livre à des actes de corruption en lien avec un marché public, que ce soit en vue de l’obtenir ou de le conserver, ou de l’exécuter, il est dès lors impossible d’avoir confiance dans le fait qu’elle s’acquittera de ses responsabilités dans l’intérêt public. Les marchés obtenus par voie de corruption portent également atteinte à l’intégrité des marchés publics, ce qui pourrait saper les efforts déployés par les États parties pour mettre en œuvre l’article 9 de la CNUCC65.
Dans le cadre de la passation de marchés publics ou dans des contextes similaires, les recours contractuels sont généralement définis par la loi ou la réglementation, et ils peuvent être renforcés par des conditions et des exigences contractuelles explicites. Les États ont fréquemment pris le parti d’exiger l’inclusion systématique de dispositions anticorruption dans leurs contrats de marchés publics et de concession. Qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’une réglementation ou d’un contrat, les dispositions anticorruption peuvent être utilisées aux fins suivantes : (a) répondre aux attentes générales en matière d’intégrité ; (b) rendre obligatoire la communication relative aux bonnes pratiques ; (c) prévenir les violations potentielles ; (d) faciliter l’accès aux archives et toute autre forme de coopération en cas d’enquête ; et (e) remédier aux violations avérées.
Les entreprises qui font affaire avec l’État, ou qui obtiennent des concessions ou d’autres avantages, doivent se conformer aux responsabilités qui leur incombent en vertu de la loi. Elles doivent en outre être clairement informées des risques qu’elles encourent en cas de violation. Cela contribue à garantir que contractants et bénéficiaires de subventions prennent leurs responsabilités au sérieux. Cela peut également renforcer le fondement juridique des mesures correctives.
En outre, les recours contractuels possibles pour les entreprises (contrats interentreprises) jouent un rôle majeur dans la préservation de l’éthique tout au long des chaînes d’approvisionnement. Les contractants qui font usage de clauses anticorruption pourront faire valoir la non-exécution de leurs contrats en cas de non-respect de ces dispositions, préservant ainsi l’intégrité de leur chaîne d’approvisionnement.
Dans le cas des marchés publics, tant les pouvoirs adjudicateurs du secteur public que les acteurs du secteur privé peuvent s’appuyer sur les recours contractuels afin de garantir l’exemption de toute pratique de corruption. Même en présence de preuves évidentes de corruption, la résiliation d’un contrat peut s’avérer impossible si aucun pouvoir de recours n’est explicitement prévu. En l’absence de clause contractuelle interdisant expressément les pratiques de corruption, les tribunaux peuvent ne pas être autorisés à annuler des contrats entachés de corruption.
de façon automatique une fois qu’un manquement a été constaté.
Dans la majorité des États, le pouvoir d’imposer des sanctions de suspension et d’exclusion est établi par la loi et il se limite aux actions d’un sous-traitant, qui enfreignent une liste prédéfinie de lois ou de règlements. Les motifs d’exclusion varient, mais ils englobent en général la fraude contractuelle, les fausses déclarations, la corruption, les irrégularités comptables, la mauvaise exécution ou la non- exécution d’une obligation contractuelle, ainsi que le non-respect d’exigences spécifiques en matière d’intégrité, de respect de l’environnement ou autres exigences légales. Le champ d’application des sanctions peut être global ou limité à certaines catégories d’activités ou filiales d’une entreprise. Par exemple, une mesure d’exclusion impliquant une grande entreprise multinationale peut concerner une filiale en particulier et non la multinationale dans son ensemble.
L’exclusion peut aussi avoir des conséquences indirectes. Les organismes chargés des marchés publics peuvent renoncer à l’adoption d’une telle mesure en raison des perturbations qu’elle peut entraîner pour leurs propres activités ou de la difficulté dans les faits à trouver des solutions de substitution pour les biens et services concernés. De même, des sanctions qui menacent la viabilité d’une grande entreprise peuvent entraîner la suppression de dizaines de milliers d’emplois dans l’ensemble de l’organisation et tout au long de sa chaîne d’approvisionnement. Pour le secteur privé, la menace d’une exclusion peut constituer une forte incitation à renforcer l’intégrité des entreprises.
Dans les cas d’exclusion discrétionnaire, les lettres de mise en garde exigeant d’une entreprise qu’elle présente les motifs au titre desquels cette mesure ne devrait pas être imposée ont contribué à l’obtention de concessions majeures aux fins des règlements transactionnels, notamment des engagements à renforcer les protocoles d’intégrité internes. Parfois, les lettres d’avertissement ont été remplacées par des conditions de règlement qui imposent un contrôle indépendant de la conformité pendant une période déterminée, courant généralement de trois à cinq ans. Cette tactique de négociation n’est pas toujours envisageable dans le modèle punitif, puisque l’exclusion n’est plus discrétionnaire dès lors que la preuve d’une infraction a été établie66.
Il convient de parvenir à une coordination adéquate des mesures de suspension et d’exclusion avec les organismes chargés des marchés publics, afin de garantir la cohérence des processus d’adoption et de mise en œuvre des décisions d’exclusion. Il incombe généralement aux autorités répressives d’enquêter sur les allégations et de déterminer la culpabilité, mais les décisions correctives d’exclusion sont souvent prises de manière indépendante par d’autres organismes publics. Ces organismes ne tiennent pas toujours compte de l’approche plus générale des autorités répressives, ou ils peuvent être guidés par des préoccupations compensatrices au regard de l’éventuelle perturbation des activités résultant des décisions d’exclusion. Le meilleur moyen de remédier à ces divergences est de mettre en place un mécanisme adapté de coordination interinstitutionnelle.
Il importe également de veiller à ce que l’application des mécanismes d’exclusion n’entraîne pas d’incohérence au niveau de l’action publique, alors susceptible d’entraver les efforts des autorités répressives qui, pour leur part, encouragent les entreprises à se dénoncer et à coopérer aux enquêtes. Ce scénario peut survenir lorsque les régimes d’exclusion sont automatiquement déclenchés par une condamnation pénale. Pour les entreprises, l’incitation à se manifester et à coopérer avec les autorités répressives peut être moindre si leur bonne volonté en matière de réparation aboutit à leur exclusion automatique des marchés publics. Le modèle discrétionnaire permet de tenir compte des particularités de chaque cas et peut s’avérer mieux adapté aux États qui souhaitent encourager la divulgation spontanée et les mesures correctives.
La coordination interinstitutionnelle peut également aider à détecter les infractions potentielles de corruption. Les organismes chargés des marchés publics jouent couramment ce rôle de détection et doivent prendre des mesures pour prévenir et détecter la corruption comme ils y sont tenus par leur mandat. L’article 9 de la CNUCC présente en détail des lignes directrices visant à garantir que les systèmes de passation des marchés publics empêchent les actes de corruption. De même, la Recommandation anticorruption de l’OCDE de 2021 (section XI) encourage la coopération interinstitutionnelle. Au niveau opérationnel, les agents chargés des marchés publics devraient être formés aux exigences et procédures de lutte contre la corruption, et informés de leur obligation de signalement des préoccupations ou des cas suspects dans la perspective d’une enquête plus approfondie. Les sous- traitants et les bénéficiaires de subventions de l’État peuvent également être tenus, de manière contractuelle, de signaler des incidents de corruption importants67.
Du fait de la sévérité de cette sanction, notamment pour les personnes physiques et les petites entreprises, il est essentiel de prévoir des normes de conduite claires et des protections sur le plan procédural pour empêcher tout abus. Les États devraient également envisager de publier des orientations solides sur les attentes relatives aux programmes anticorruption et sur la question de savoir s’ils peuvent être invoqués comme moyen de défense contre une éventuelle mesure exclusion.
En cas de corruption, une autre sanction potentielle, analogue à la suspension et à l’exclusion des marchés publics, consiste à limiter l’accès aux prestations ou aux services publics.
Les pouvoirs publics procurent à leurs citoyens et à leurs entreprises toutes sortes d’avantages et d’aides, qu’il s’agisse d’autorisations en vue de mener des activités économiques et d’exporter, d’incitations fiscales ou encore de création d’emplois pour les activités d’exportation. Ces privilèges accordés par l’État peuvent être restreints ou retirés à titre de sanction en cas de violation de la loi ou de non-respect d’accords contractuels, notamment en présence d’infraction de corruption. Le lien entre limitation des avantages et corruption est particulièrement fort pour les activités commerciales internationales soutenues par un organisme national de crédit à l’exportation68.
De nombreux États donnent également accès à des services assurés par des délégués commerciaux afin d’aider les entreprises nationales à réaliser leurs ambitions en matière d’exportation et à s’implanter dans de nouveaux marchés. Ces services peuvent comprendre une aide au financement, l’accès à divers réseaux, un accompagnement pour la mise en conformité avec les exigences en matière d’importation/exportation, notamment l’obtention des visas adéquats, et une assistance en vue de s’orienter dans l’environnement des affaires sur un marché donné. Le fait de refuser ces avantages à une entreprise peut entraîner une perte de valeur importante. De même, l’octroi d’un accès sur la base de l’adhésion à des principes d’intégrité spécifiques peut contribuer à encourager la mise en conformité.
La responsabilité pour préjudices causés par une infraction de corruption peut constituer une autre
sanction importante à l’encontre des acteurs du secteur privé. L’article 35 de la CNUCC dispose que
« chaque État Partie prend les mesures nécessaires, conformément aux principes de son droit interne, pour donner aux entités ou personnes qui ont subi un préjudice du fait d’un acte de corruption le droit d’engager une action en justice à l’encontre des responsables dudit préjudice en vue d’obtenir réparation ». Les États doivent veiller à ce que les victimes, y compris un concurrent et l’État lui-même, aient le droit d’engager des poursuites judiciaires contre les responsables de la réparation des conséquences de la corruption.
Dans la majorité des États, le droit interne autorise bien sûr les procédures judiciaires en faveur de la réparation du préjudice causé par des personnes physiques et des organisations. Les États peuvent également envisager de prévoir une procédure d’action privée expresse pour les dommages-intérêts compensatoires résultant d’une infraction de corruption. Tout comme dans d’autres actions civiles, la victime devra normalement prouver qu’il y a eu manquement aux devoirs, qu’il y a eu préjudice et qu’il existe un lien de causalité entre l’infraction de corruption et le préjudice. Dans le cadre d’une activité commerciale, la réparation peut couvrir la perte de bénéfices et d’autres préjudices indirects ou non financiers.
D’autres textes de droit général des affaires peuvent également servir de base à une action civile contre les entreprises qui se livrent à des actes de corruption. Par exemple, dans certains États, des concurrents se sont appuyés sur la législation relative à la « concurrence déloyale » pour demander réparation après une perte d’activité. Dans d’autres, les clients lésés par une procédure de passation de marché entachée de corruption ont eu recours à des dispositions pénales relatives à l’entente ou à la participation à des groupes criminels.
Le recours aux traités internationaux relatifs au commerce et aux investissements peut également entraîner des conséquences pour une entreprise privée, voire pour un État, qui ne respecterait pas les engagements en matière de lutte contre la corruption prévus par ces traités, et qui pourrait être tenu responsable de préjudices.
Le secteur privé se montre lui aussi actif en veillant à ce que les entreprises, dans le cadre de leurs relations interentreprises, prennent acte des dispositions visant à lutter contre la corruption et élaborent des clauses d’intégrité afin de protéger leurs investissements [voir l’étude de cas sur la clause anticorruption de la Chambre de commerce internationale (CCI) au chapitre IV].
Les investisseurs aussi disposent d’outils leur permettant de demander des comptes aux entreprises. Dans certains pays, les actionnaires peuvent engager des actions dites « dérivées », ou des poursuites, pour le compte d’une entreprise contre la direction de cette entreprise pour manquement à ses obligations ou d’autres manquements à ses responsabilités. Elles ont servi à engager des poursuites judiciaires contre des entreprises publiques au motif d’infractions de corruption, en alléguant que les dirigeants de l’entreprise avaient commis une fraude sur les valeurs mobilières ou avaient manqué à leur devoir de surveillance. Bien que le préjudice puisse être difficile à réparer, des actions de ce type servent de mise en garde pour les dirigeants et elles peuvent accélérer les investissements dans les efforts de lutte contre la corruption d’une entreprise.
Les incitations récompensant les entreprises pour leurs bonnes pratiques complètent dans une large mesure le levier des sanctions. Elles prennent acte du fait que l’engagement et l’investissement dans des programmes anticorruption, et d’autres mesures renforçant l’intégrité des entreprises sont le fruit d’une action spontanée et peuvent être encouragés par des mesures incitatives qui signalent leur importance prioritaire à la direction de l'entreprise.
La section XXIII(D) de la Recommandation anticorruption de l’OCDE de 2021 souligne que les organismes publics peuvent envisager d’encourager les entreprises à prévenir et détecter la corruption transnationale en ayant recours à des mesures d’incitation à la conformité, tant dans le cadre d’actions répressives que dans celui des décisions d’octroi d’avantages publics, notamment des subventions publiques, des autorisations, des contrats de marchés publics, des financements au travers de l’aide au développement et des crédits à l’exportation.
Différents mécanismes, qui vont de l’exemption de poursuites à d’autres mesures de réduction de peine, peuvent être utilisés pour encourager différents comportements favorisant l’intégrité des entreprises et leur mise en conformité au regard de la législation anticorruption69. D’un pays à l’autre, les types de comportements pouvant donner droit à une réduction de peine diffèrent considérablement. Les facteurs pris en compte à cet effet englobent le signalement spontané, la mise en œuvre de programmes anticorruption, la coopération aux enquêtes, les mesures de réparation, la restitution aux victimes et la réparation du préjudice causé par la corruption.70
Certains États peuvent désapprouver l’idée de laisser les auteurs d’infractions graves, comme des actes de corruption, se voir infliger une peine sensiblement réduite, voire nulle. Toutefois, les entreprises et les personnes physiques qui se dénoncent et/ou prêtent largement concours à une enquête démontrent leur engagement à assumer la responsabilité de leurs fautes passées. À cet égard, elles se distinguent fortement des auteurs d’infractions qui cherchent à se soustraire à tout prix à leurs responsabilités.
Dans certains cas, il arrive même aux États de décider de ne pas engager de poursuites à l’encontre d’une personne physique ou d’une entreprise. Pour autant, cela ne signifie pas que leurs transgressions restent sans conséquence. Les États peuvent toujours envisager d’imposer au transgresseur, entre autres, des mesures de restitution, pour veiller à ce qu’il ne tire pas profit de l’acte répréhensible. En outre, ils devraient exiger des personnes et des dirigeants impliqués dans l’infraction de corruption de rendre compte de leurs actes. Cela peut alors prendre la forme de l’inculpation des personnes physiques, de la demande d’injonctions visant à limiter leur aptitude à agir en qualité de dirigeants ou d’administrateurs dans le cas d’entreprises cotées en bourse, et de la conclusion d’accords qui obligent ces personnes à quitter leurs fonctions de direction. En outre, même si une entreprise peut finalement échapper à des poursuites, l’atteinte à la réputation est toujours synonyme de sanction forte. En effet, même s’ils renoncent à toute poursuite, les États pourraient souhaiter expliquer leurs décisions, conformément aux principes de régularité de la procédure, par voie de communiqué de presse ou autres supports de communication. Ces déclarations publiques relatives aux décisions prises peuvent ainsi permettre de divulguer le nom de l’entreprise concernée et, partant, influer sur la façon dont cette dernière est perçue par le public et les consommateurs.
Certains États ont adopté un système qui récompense les procédures de prévention, en autorisant leur utilisation comme moyen de défense en cas d’infraction mettant en œuvre la responsabilité des personnes morales. Ainsi, une entreprise accusée d’une infraction pénale ou administrative pourra se défendre devant l’autorité compétente si elle peut démontrer qu’elle a mis en place des procédures suffisantes destinées à prévenir la corruption. Les entreprises qui ne disposent pas de tels systèmes s’exposent au risque d’être condamnées pour infraction.
En vertu de la Loi britannique de 2010 sur la corruption, le fait de ne pas prévenir la commission d’une faute dans ce domaine par une personne associée constitue une infraction de responsabilité stricte pour laquelle seules les personnes morales peuvent être sanctionnées. Pour sa défense, le cas échéant, une entreprise peut faire valoir l’existence de procédures adéquates au moment où une infraction est commise. En cas de condamnation, les politiques et procédures anticorruption alors en place influeront fortement sur la détermination de la peine, et seront évaluées en vue d’éventuelles mesures de réduction de la peine.
Proposant un autre modèle, la Loi SAPIN II en France exige des entreprises qui remplissent certains critères qu’elles mettent en œuvre un programme de conformité anticorruption (voir l’étude de cas ci- dessous pour plus de détails sur ces exigences). Ces entreprises peuvent être passibles d’une sanction
administrative si elles ne respectent pas leur obligation de conformité, même en l’absence de suspicion d’infraction de corruption transnationale.
Afin de préserver l’adéquation de leurs procédures de prévention de la corruption, les entreprises doivent prendre en compte les critères minimums essentiels à un programme anticorruption efficace, à savoir : un soutien et un engagement forts, explicites et visibles de la part de l’organe dirigeant ; des lignes directrices opérationnelles fondées sur les risques et des formations ; des canaux par lesquels demander des conseils ou faire part de préoccupations ; et, enfin, la surveillance et des examens périodiques des systèmes et des programmes de contrôle, afin de perfectionner le programme en fonction de l’évolution des risques71. On attend également des entreprises qu’elles gèrent les risques liés à leurs relations avec des tiers et qu’elles instaurent une culture organisationnelle qui favorise un comportement éthique et un engagement en faveur de la conformité.
Les États parties qui s’emploient à renforcer l’intégrité des entreprises, au moyen d’incitations à l’appui de programmes ou de mesures de conformité anticorruption, devraient envisager de fournir des orientations et des formations spécialisées aux agents des autorités répressives, afin de s’assurer que les récompenses soient un reflet fidèle de la qualité du programme anticorruption et de sa mise en œuvre. La bonne application de ces mécanismes d’incitation repose pour une très large part sur l’expertise en matière d’évaluation des programmes de conformité anticorruption. Les États devront déterminer les caractéristiques qu’un programme de conformité anticorruption doit revêtir pour être efficace, et préciser quels éléments supplémentaires sont nécessaires pour aller au-delà des critères minimaux. Le renforcement de la sensibilisation et l'expertise sur les spécificités des secteurs et des types d'entreprises est également fortement encouragé. Si l’obligation de mettre en place des programmes et procédures de ce type est imposée aux entreprises, il devrait exister une exigence équivalente d'en évaluer l'efficacité.
Au Royaume-Uni, afin d’aider les entreprises à déterminer ce qui constitue des procédures adéquates, les autorités ont publié des orientations sur les éléments d’un programme anticorruption susceptibles de satisfaire aux critères permettant de se prévaloir du moyen de défense prévu par la Loi britannique de 2010 sur la corruption. Ces éléments incluent des procédures proportionnées, un engagement au plus haut niveau, une évaluation des risques, une procédure de vérifications préalables, des actions de communication (y compris de formation), ainsi que des mesures de suivi et d’examen. La charge de la preuve incombe à la société défenderesse qui doit démontrer l’existence de ces procédures adéquates72.
La communication auprès du secteur privé des attentes qui le concernent est cruciale. Les entreprises auront besoin d’orientations sur la manière de satisfaire aux exigences établies par la loi, ainsi que sur les modalités de mise en œuvre adéquate de leurs programmes. Les États devraient publier, à l’intention du secteur privé, des orientations adaptées, et prévoir leur mise à jour périodique, en matière de mise en œuvre de procédures adéquates de prévention de la corruption. Ces orientations devraient faisant état des dernières avancées en date concernant les bonnes pratiques. Les États devront trouver un équilibre entre la demande de précision et de prévisibilité du secteur privé et la nécessité d’adopter une approche sur mesure en fonction de la situation du prévenu. Des recherches supplémentaires seront nécessaires afin d’aider les États à élaborer des moyens performants pour évaluer l’efficacité des efforts anticorruption déployés par les entreprises.
L’accès préférentiel aux aides ou services accordés par les pouvoirs publics peut prendre la forme, entre autres, de subventions publiques, d’autorisations, de financements au travers de l’aide au développement, de crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien public, ou encore d’un accès à l’aide au commerce, d’un accès préférentiel aux marchés publics, entre autres.
Cette forme d’incitation est le pendant de la sanction de refus d’octroi des avantages, de la suspension et de l’exclusion. Comme on l’a vu, s’il est prouvé que les activités d’une entreprise sont entachées de corruption ou ne sont pas menées de façon intègre, cela peut justifier le refus ou la suppression d’avantages octroyés par les pouvoirs publics. À l’inverse, ces avantages peuvent également être accordés à titre préférentiel à des personnes physiques et morales qui sont en mesure de démontrer un engagement en faveur de l’application de bonnes pratiques. Cette incitation peut prendre la forme d’une condition d’éligibilité – par exemple, le fait pour toute personne demandant à bénéficier d’avantages octroyés par les pouvoirs publics de satisfaire à certaines normes minimales en matière de programme anticorruption. La préférence peut également être accordée aux entreprises qui prennent spontanément des mesures pour renforcer leur intégrité.
Les avantages liés à la passation de marchés peuvent prendre la forme d’une condition d’éligibilité ou d’une préférence concurrentielle positive. Ces deux formes d’avantage peuvent tout aussi bien concerner le secteur public que le secteur privé. Les États qui offrent des incitations à la passation de marchés publics doivent être conscients des arbitrages éventuels, tels que la restriction de l’accès aux marchés publics aux acteurs qui remplissent les conditions requises, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur la concurrence. Les petites entreprises pourraient subir des effets négatifs potentiels qu’il est possible de prévenir en leur fournissant une assistance technique appropriée et en soutenant leur développement. Les États doivent toutefois veiller à ce que ces incitations ne deviennent un moyen administratif d’extorquer des pots-de-vin aux entreprises.
La forme la plus simple de cette incitation est l’obligation pour les entreprises de respecter certaines normes minimales en matière de bonnes pratiques pour pouvoir conclure des transactions avec les organismes publics chargés de la passation des marchés. Les programmes obligatoires fondés sur des normes sectorielles reconnues, tels que des codes d’éthique, peuvent s’avérer efficaces pour renforcer les pratiques des entreprises en matière d’intégrité, en particulier dans les secteurs où les transactions observées sur le marché sont pour l’essentiel des achats publics ou des remboursements. Il est courant pour les entreprises multinationales de mettre à disposition des orientations relatives aux bonnes pratiques, et de proposer des formations aux principaux partenaires de leurs chaînes d’approvisionnement, notamment aux PME et autres intermédiaires tiers. Les pouvoirs publics et les associations patronales fournissent en outre une assistance technique aux entreprises se rapportant aux pratiques d’intégrité nécessaires en vue de conclure des transactions avec des organismes publics. Cette assistance prend la forme de codes de déontologie et de guides, de séminaires de formation, et de modèles de contenu entre autres.
Les bonnes pratiques peuvent aussi être encouragées en accordant un accès préférentiel aux marchés publics aux entreprises prenant spontanément des mesures pour renforcer leur intégrité. Cette forme d’incitation – parfois qualifiée de « véritable » incitation – fait office de pendant à la suspension et à l’exclusion des auteurs d’actes de corruption. Dans un modèle de passation de marchés avec des contractants responsables, le mauvais bilan ou les mauvaises pratiques d’une entreprise en matière de corruption restreindront ses perspectives de devenir un partenaire d’affaires de l’État. À l’inverse, les entreprises qui ont fait de l’intégrité une priorité seront plus susceptibles d’agir de façon responsable et d’être dignes de confiance, et elles peuvent à ce titre être récompensées dans le cadre d’un processus concurrentiel.
Ce principe de base est essentiel dans le cadre des transactions commerciales, notamment lorsque les processus de sélection préférentiels donnent la priorité aux partenaires locaux qui ont déjà démontré leur fiabilité et de leur intégrité. Des considérations similaires président aux marchés publics. Ces considérations servent à la fois à protéger les intérêts de l’État et à promouvoir des pratiques exemplaires en matière d’intégrité parmi les contractants. Comme pour l'obligation de mettre en place un programme anticorruption, il est possible de gérer les retombées négatives potentielles pour les petites entreprises au moyen d’une assistance technique et d’un échelonnement des mesures.
Certains États ont établi des exigences de « réhabilitation » : une entreprise qui a commis des manquements doit prendre des dispositions spécifiques pour démontrer son engagement à respecter les règles et à agir avec éthique avant de participer à une nouvelle procédure de marché public. Avoir accès aux marchés publics représente une immense opportunité économique pour nombre d’entreprises. L’attribution de marchés publics permet aux États d’exercer leur influence et d’associer le secteur privé au respect de pratiques éthiques.
De même, le principe de préférences dans le cadre des procédures de marchés peut aussi favoriser l’intégrité des acteurs du secteur privé dans les États qui font face à des contraintes de ressources, ou à d’autres obstacles à une approche traditionnelle de l’action répressive. Les incitations qui prévoient un allègement de l’impact des sanctions ne peuvent avoir qu’un effet limité dans les environnements où le risque perçu de détection et de poursuites est faible ou inexistant. En revanche, les incitations qui récompensent les bonnes pratiques des entreprises ayant investi dans un programme de prévention efficace peuvent rester efficaces même en l’absence d’un risque significatif lié à l’application de la loi. Toutefois, les pouvoirs publics qui ont recours à des mécanismes préférentiels pour encourager la conformité devront mobiliser des ressources afin de s’assurer que les préférences établies profitent bien à des entreprises qui ont mis en place de véritables programmes ou autres mesures anticorruption. S’ils utilisent des registres d’intégrité des entreprises, ils devront aussi les mettre à jour de façon régulière pour s’assurer de ne pas empêcher la participation d’entreprises qui ont pris des mesures visant à élaborer des programmes anticorruption adéquats. Par ailleurs, les pouvoirs publics doivent garder à l’esprit le fait que les passations de marchés publics, tout comme les autres incitations, sont susceptibles d’ouvrir de nouvelles possibilités de corruption. Elles peuvent par exemple favoriser la collusion (en particulier sur les marchés réglementés, en réduisant la concurrence) ou favoriser des comportements « opportunistes » dans les environnements corrompus (par exemple, en offrant un canal supplémentaire d’extorsion par les pouvoirs publics). Ce risque peut être atténué en mettant sur pied des activités de renforcement des capacités et des formations à l’intention des responsables des marchés publics, de façon à ce qu’ils puissent identifier les conflits d’intérêts potentiels. Un suivi et un audit périodiques des procédures de passation des marchés et des contrats peuvent également contribuer à atténuer ce problème.
Certains États peuvent recourir à des « listes blanches » qui distinguent les entreprises appliquant de bonnes pratiques, en guise de pendant à l’exclusion traditionnelle. Les entreprises figurant sur la « liste blanche » d’un État bénéficient d’une approbation préalable qui leur permet de répondre aux appels d’offres publics et de conclure des marchés publics73. Les États peuvent imposer à ces entreprises de s’engager à soutenir des initiatives de lutte contre la corruption, de prouver qu’elles mettent en œuvre de bonnes pratiques et de signer une attestation dans le cadre de la procédure de passation des marchés publics. Ils peuvent également ajouter des entreprises à une « liste blanche » de sous-traitants privilégiés si, par le passé, elles ont déjà démontré leur fiabilité. Le statut de fournisseur privilégié peut également être communiqué au moyen de déclarations publiques reconnaissant les entreprises dont les mesures d’intégrité ont été évaluées.
L’accès préférentiel peut aussi servir à accorder un accès accéléré à certains services, comme les services de dédouanement ou des soutiens sous forme de crédits à l’exportation. Il importe de veiller à ce que les programmes d’accès préférentiel garantissent que les mesures de prévention spécifiques qui ont été mises en évidence soient réelles et qu’elles n’aient pas d’effets disparates imprévus sur les petites et moyennes entreprises. À l’image d’autres types d’incitations, il est tout aussi essentiel que difficile d’élaborer des méthodologies et des outils permettant d’évaluer l’efficacité des efforts de lutte contre la corruption. Quand bien même les facteurs d’évaluation peuvent varier selon les types d’incitations et leurs bénéficiaires, une coopération interinstitutionnelle étroite et efficace est déterminante pour permettre aux autorités nationales d’acquérir de l’expérience et de bonnes pratiques à cette fin.
Les États pourraient envisager d’accorder aux entreprises des incitations ou des abattements fiscaux, si elles peuvent démontrer qu’elles ont pris des mesures significatives pour lutter contre la corruption. Il peut s’avérer coûteux pour les entreprises de mettre en œuvre des mesures de lutte contre la corruption, mais pour celles qui ont pris l’initiative d’être en première ligne sur le front de l’intégrité, les incitations fiscales peuvent apporter une reconnaissance qui aura des retombées positives sur le plan financier74. Le secteur privé reçoit ainsi le message que les investissements dans des programmes de qualité en matière de prévention de la corruption sont aussi importants que d’autres types d’investissement.
Certaines incitations peuvent découler des obligations de conformité imposées par les places boursières qui fixent des règles, des réglementations et des normes visant à assurer une négociation équitable, transparente et ordonnée des titres sur leur marché. Ces exigences visent à préserver l’intégrité du marché, à protéger les investisseurs et à favoriser la confiance envers le système financier.
De même, les places boursières peuvent imposer aux entreprises diverses normes en matière de gouvernement d’entreprise et diverses obligations d’information avant d’approuver leur introduction en bourse. Pour les entreprises, il peut s’agir de fournir des états financiers vérifiés, qui informent les investisseurs de leurs résultats financiers, ainsi que de leurs risques de corruption ou autres. Il est souvent nécessaire de prévoir des obligations en matière de gouvernement d’entreprise pour veiller à ce que les sociétés appliquent de bonnes pratiques concernant la composition de leur conseil d’administration, l’indépendance des administrateurs, les droits des actionnaires et, plus fréquemment, l’engagement en faveur de la transparence et de la publication d’informations.
Aux fins du respect des exigences présentées ci-dessus, les bourses de valeurs peuvent également confier aux services chargés de la conformité ou aux organismes de réglementation une responsabilité de supervision et de contrôle du respect des exigences. Ces services peuvent enquêter sur les infractions potentielles et imposer des pénalités ou des sanctions en cas de non-respect.
Les places boursières pourront se servir de leurs règles d’admission à la cote afin d’encourager les entreprises à adopter une bonne gouvernance et des mesures en matière d’intégrité75. Selon ces règles, il incombe aux entreprises de veiller à ce qu’elles respectent les obligations de conformité, sous peine de s’exposer à des sanctions. L’incitation réside dans les avantages induits par une inscription à la cote, mais elle est liée à un ensemble de procédures de sanctions.
Le renforcement de l’intégrité favorise la confiance des investisseurs. Dans plusieurs pays, les entreprises sont tenues de démontrer qu’elles adhèrent aux normes d’intégrité afin de pouvoir prétendre à certaines protections76. Les États mobilisent donc la promotion de l’investissement pour inciter les entreprises à soutenir l’intégrité, renforçant ainsi l’intérêt économique de cette dernière.
S’ils souhaitent attirer des investissements de qualité, les pays doivent s’efforcer de créer une culture de transparence et d’éthique au sein des entreprises77. Pour les entreprises, celles qui agissent avec intégrité pourront tirer davantage parti des possibilités d’investissement dans des marchés qui promeuvent des pratiques commerciales éthiques.
Les fonds souverains et les fonds de pension publics, qui comptent parmi les investisseurs institutionnels les plus riches au monde, ont ouvert la voie à l’investissement durable et à l’investissement fondé sur l’intégrité. Selon le Sovereign Wealth Fund Institute, en 2021, ils détenaient respectivement 10 500 milliards USD et 21 400 milliards USD78. En intégrant des normes anticorruption dans leurs politiques d’investissement, de gestion responsable et de désengagement, divers investisseurs publics mettent à profit leurs capitaux substantiels afin de promouvoir des pratiques commerciales plus transparentes et plus responsables.